ERENA

Mais le rapport aux autres ne se réduit pas au couple, il s’étend évidemment aux relations familiales, et en particulier aux enfants et petits enfants évidemment, avec qui il faut soigner, remanier la relation au fur et à mesure que, le temps passant, le contenu même de la relation se transforme. Il faudrait ici développer sans doute une réflexion sur les vertus du pardon dont les uns disent qu’il n’existe jamais quand d’autres (Jacques RICO T 8 par exemple), le présentent comme évènement libérateur au moins pour celui qui, pardonnant, peut enfin passer à autre chose qu’à la rancœur dévorante. Relation de couple, relations familiales, remanier son rapport aux autres c’est aussi remanier son rapport au voisinage, à ses concitoyens, c’est investir différemment la vie de la cité, la vie politique ou syndicale, sociale ; c’est reconsidérer les engagements que l’on a pris ou qu’au contraire on pourrait prendre enfin, etc. Remanier son rapport aux autres c’est alors une autre manière de tenter d’être au monde, de vivre dans ce monde où nous avons à vieillir à vivre, alors même que le corps décidément fout le camp… VII - Remanier son rapport à soi-même : Remanier son rapport au temps, remanier son rapport aux autres, voilà qui permet, et voilà qui exige d’ailleurs, de remanier son rapport à soi-même. C’est la clé, sans doute d’un vieillissement qui rendrait libre… Il s’agit là, profondément de ce que l’on peut appeler une problématique identitaire. Mon identité, en effet, nous expliquait Pierre SANSOT, « c’est l’image que j’ai de moi, forgée dans le rapport aux autres parce que j’ai par la suite à répondre à leur attente. » 9 Cette définition de l’identité invite exactement à une réflexion sur les remaniements nécessaires à une harmonieuse avancée en âge mais aussi bien à une vie qui se trouve modifiée, quel que soit l’âge, par les pertes qui touchent la personne dans son corps, quand il fout le camp... C’est en effet dans le rapport aux autres que peut se remanier l’image que l’on a de soi-même. Vous me renvoyez de moi-même une certaine image que j’intègre ou que je refuse mais qui se met en moi-même au travail, intimement au travail et qui, lentement, me permet de structurer mon identité. Cette image de soi se transforme avec le temps, bien sûr, au fur et à mesure qu’apparaissent les attributs de l’âge et que se transforment également les attentes que vous formulez à mon égard. La véritable question identitaire devient donc non pas tellement : « Qui suis-je ? » Mais bien : « Qu’attendez-vous de moi ? » 10 Comment pourrais-je en effet construire une image de moi positive, suffisamment bonne, si vous n’attendez rien de moi, au motif de mon âge, de mon handicap, de ma situation précaire, ou de mon origine, au motif de ce corps qui 8 Jacques RICOT, philosophe, auteur de « Peut-on tout pardonner ? » Ed. Pleins feux. 9 Pierre SANSOT in « Identités collectives et travail social » sous la direction de Jacques BEAUCHARD. Ed. Privat 1979. 10 « Toi qui dis-tu que je suis ? » Matthieu 16-15. décidément fout le camp ? On imagine à quel point la dimension économique va entrer « en ligne de compte » dans ces jeux d’attentes réciproques qui vont déterminer l’image que j’ai de moi-même et qu’il me faut mettre au travail pour vivre et vieillir de manière harmonieuse. Si mon corps fout le camp et que cela coûte de l’argent à mon entourage, on devine quelles attentes il va formuler à mon égard… Accepter la transformation de l’image que l’on a de soi- même et accepter, au-delà d’elle, le processus de vieillissement qui est à l’œuvre et auquel il nous faut concilier notre vie pour vieillir en harmonie avec ce que nous sommes et avec ce que nous devenons. Vieillir est ainsi une très profonde transformation de soi. Rapport au temps, aux autres, à soi-même, vieillir c’est remanier son rapport au monde, globalement au monde, dans toutes ses composantes parce que cet univers socio-économique, on l’a vu, est fait tout aussi bien d’argent, de culture, d’histoire, de travail, de loisirs, de relations affectives, d’engagement politique, de spiritualité et j’en oublie. VIII - Investissement, renoncement, détachement… Alors, remaniement ? Vieillir, « vivre quand le corps fout le camp », c’est donc opérer ces remaniements nécessaires. Ceux-ci se structurent, me semble-t-il, sur plusieurs axes et en particulier : l’investissement, le renoncement, et le détachement… L’investissement il faudrait dire l’investissement et son contraire le désinvestissement… Il s’agit, en effet, de remanier l’investissement affectif dont on est porteur tant dans la relation aux autres que dans la relation aux objets ou dans la relation à l’argent. « Remaniement des investissements affectifs », c’est exactement dans ces termes que FREUD définissait le travail du deuil. Vieillir c’est perdre, disions-nous, c’est apprendre à perdre, alors vieillir, « vivre quand le corps fout le camp », forcément c’est vivre des deuils, c’est même apprendre à vivre des deuils… Avançant en âge, la valeur relative des choses se transforme à nos propres yeux. On peut concevoir que pour d’autres il en aille différemment mais pour soi, ce qui fait la valeur d’un objet se transforme : on l’a vu, la voiture, la maison, l’argent même, changent de statut à nos propres yeux. Notre manière de les regarder se modifie et va du désinvestissement, du désintérêt au réinvestissement et parfois même au surinvestissement. Vous qui me regardez vieillir, vous qui me regardez me débattre avec ce corps qui m’abandonne, ne jugez pas ces transformations de mon rapport au monde même si parfois elles vous énervent un peu. Vous avez au contraire à m’accompagner dans ce travail qui s’opère en moi avec parfois tant de difficultés, tant de souffrance. Ce n’est pas toujours facile de conquérir sa liberté ! Il arrive que cet investissement remanié prenne forme de renoncement, de rupture plus ou moins brutale. L’objet autrefois investi a compté, beaucoup compté 39

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