ERENA

étrangers qui peuvent payer (même s’ils utilisent aussi un greffon qui n’était pas destiné à un étranger) mais des étrangers en situation de précarité. Et c’est à juste titre qu’il a été souligné que la précarité ne concerne pas que les étrangers. Dans un des cas cliniques qui ont été présentés concernant l’indication d’une greffe hépatique, on a vu que les arguments donnés pour récuser cette greffe étaient des arguments d’isolement et de précarité non spécifiques aux étrangers. Le problème éthique est toujours cantonné dans la vulnérabilité, dans la fragilité. Or si la précarité aggrave la vulnérabilité liée à la maladie, il faut néanmoins constater que le migrant maximise la vulnérabilité : à la maladie, à la pauvreté, s’ajoutent le déracinement et une majoration du risque d’isolement, d’exclusion sociale. Et l’on sait aussi que les situations d’exclusion sociale activent sur le plan cérébral des zones largement superposables à celles qui sont activées par les douleurs physiques. Quand le CCNE a dit : qu’il fallait favoriser l’intégration, les équipes de transplanteurs en étaient persuadées mais on peut penser que c’est un message adressé en fait aux pouvoirs publics. Mais en fait les pouvoirs publics sont piégés à plus d’un titre et d’abord par la difficulté de concilier une éthique utilitariste et une éthique de la personne. L’utilitarisme est la clé de voûte de l’éthique démocratique : le plus grand bien pour le grand nombre. Le plus grand bien pour le plus grand nombre, vise d’abord pour les pouvoirs publics les citoyens puis tous ceux qui résident sur son sol. Et d’ailleurs pour les migrants malades les pouvoirs publics ont prévu, on l’a vu, des mécanismes d’aide et d’assistance. Ces mécanismes peuvent être chiffrés, évalués, mais cette vision « globale », « statistique » de l’utilitarisme ne peut faire oublier l’éthique de la personne, dans la singularité de son histoire et de sa détresse. Or cette éthique de la personne est une éthique exigeante fondée sur l’égale dignité de tous les êtres humains et sur les valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité. Et la fraternité se décline à deux niveaux. Au niveau de la République, on peut entendre que la France n’a pas les ressources pour soigner tous les insuffisants rénaux et hépatiques du monde. Mais la République est en quelque sorte engagée sitôt que des personnes se trouvent sur son sol. Comment imaginer de les laisser mourir aux portes des hôpitaux ? Au niveau personnel la fraternité, on l’a vu, naît de la sollicitude. Mais ni la fraternité, ni la sollicitude, ni l’intégration des migrants ne règlent toutes les tensions éthiques. La réalisation de greffes encourage le négoce des passeurs qui exploitent ces malades étrangers. C’est pourquoi d’ailleurs le Ministre de l’Intérieur a dit, comme grande mesure, (pouvait-il proposer autre chose ?) qu’il allait négocier avec la Géorgie, qui affirmait d’ailleurs qu’elle pouvait soigner ses ressortissants, ce qui ne semble pas totalement conforme aux témoignages recueillis concernant les personnes démunies. La limitation du nombre de greffons interroge aussi le principe de justice. La justice globalement c’est essayer de s’ajuster les uns les autres dans le vivre ensemble. Or en France la justice distributive est sans cesse interrogée par la carence en greffons. Ainsi, quand deux reins sont prélevés, un reste à l’endroit du prélèvement et l’autre est adressé à une autre région. Mais certaines régions de France prélèvent moins de greffons alors qu’ils en reçoivent et font porter les efforts sur les régions les plus « généreuses », ce que certains malades trouvent injuste. Ainsi les migrants ajoutent aux interrogations concernant la justice distributive. Il faudrait certes en appeler à davantage de justice contributive, c’est-à-dire davantage de dons d’organes. Dès lors comment dans cette complexité imaginer de directives par essence générales et qui ne mettent pas en difficulté la conscience des équipes de transplantation comme cela pourrait arriver s’il fallait qu’une liste de conditions soient mises à la transplantation. Que faire alors si ces conditions n’étaient pas remplies alors qu’il existe une indication médicale à transplanter ? Les pouvoirs publics pourront-ils s’opposer à la réalisation de la transplantation ? Ne créerait-on pas des difficultés majeures aux 59

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