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dimensions de la pratique de la sédation, dont les enjeux autour de la décision de mise en place de la sédation (Legrand et al., 2016 ; Couderc et al. 2021.) et les enjeux temporels de celle-ci. C’est sur cette dernière dimension que nous allons discuter dans cet article. La pratique de la sedation révèle, sous un nouvel angle, des enjeux autour de la temporalite de la mort. Lors de l’analyse de nos données qualitatives, nous avons repéré trois enjeux temporels distincts, dont il s’agira ici de présenter les contours sociaux et éthiques. II. LA MORT SOUS SEDATION ET SES ENJEUX TEMPORELS Le premier enjeu temporel est celui inhérent à l’activité́ d’évaluation professionnelle du «pronostic vital» du patient. Comme nous le verrons, «  faire le diagnostic de la fin de vie  » comporte un enjeu fort en termes de temporalité (Robert, 2018). En effet, la loi spécifie que la SPCMD ne peut etre appliquee que pour un patient au « pronostic vital engage a court terme, (décès prévisible dans les heures ou les jours suivants). Au carrefour entre un prolongement « artificiel » de la vie (obstination déraisonnable) et une precipitation de la mort (euthanasie), il s’agit dès lors pour les professionnels de se doter de paramètres d’évaluation pour saisir ce qu’ils jugent être le moment « naturel » du trépas. Il s’agit, pour eux, de « respecter le rythme de l’entre- deux que constitue desormais la fin de vie : ne pas prolonger la vie, mais ne pas l’arrêter intentionnellement » (Launay, 2016). Meme si plusieurs recherches montrent que la sedation ne raccourcit pas la vie (Guirimand et al., 2017), cette question se pose encore aux soignants, lesquels devront se doter de paramètres afin de réaliser cette évaluation, qui sert comme cadre normatif et temporel à la décision d’une SPCM D 2 . Le deuxième enjeu temporel, lié de manière intriquée au premier, est celui relatif aux possibilités de pouvoir mener à bien une « décision anticipée » de sédation. Cet axe temporel n’est pas porté vers un moment précis dans le futur qu’il faut pouvoir pronostiquer, comme le précèdent, mais distingue plutôt deux rythmes opposés d’enchainement d’actions médicales : celui de la « programmation », linéaire et organisée des pratiques, et celui de « l’urgence », où les actes sont précipités et désordonnés. Si cet enjeu est lié au premier – dans le sens où pour pouvoir « anticiper » il faut pouvoir bien projeter et « situer » dans le futur le moment du décès – il met en jeu un autre type de temporalisation des pratiques sociales. En effet, l’enjeu temporel ici distingue la situation inattendue (l’urgence) qui est signalée par les professionnels de santé comme étant particulièrement « dure à vivre », et celle de la 2 Une fiche « repere » de la Societe Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs, est consacree a l’evaluation du pronostic vital du patient. Cette fiche insiste sur la difficulte d’apprecier un pronostic, en rappelant qu’un eclairage pluriprofessionnel permet une evaluation plus fiable. Parmi les elements cliniques a prendre en compte, il y a l’aggravation rapide de la situation avec un declin fonctionnel se traduisant, par exemple, par une chute du score sur l’echelle de Performance des Patients en soins Palliatifs (PPS). programmation d’une sédation. Ainsi, une « sédation programmée » est vue et vécue comme une suite rythmée et bien orchestrée de toutes les actions et acteurs qui participent. Cette distinction entre anticipation et urgence est, de même, teintée d’un jugement de valeur de la part des professionnels : «  une bonne sédation est celle qui est anticipée  ». Effectivement, plus elle est anticipée, plus cela laisse de temps aux différents acteurs (famille, soignants, médecins) de s’accommoder dans leurs interactions et avec le mourant. Par ailleurs, cette évaluation morale de « l’anticipation » est liée aux possibilités de conditions pour une participation plus démocratique de tous ces acteurs aux décisions en fin de vie (Couderc et al. 2021). Finalement, le troisième enjeu temporel est celui ouvert par le temps qui s’étend entre la mise en place d’une sédation et le moment effectif du décès. Cette temporalité fait l’objet des appréciations différentielles et d’un temps vécu comme plus ou moins long. Il s’agit ici de la « temporalité du mourir » (Denise, 2020) sous sédation. Si la tension temporelle d’un long « mourir » est souvent évoquée comme découlant des deux premières tensions (celles d’une mauvaise évaluation du pronostic vital et donc d’une mauvaise anticipation et programmation), elle n’y est pas toujours liée, tel que nous le verrons. Cet enjeu temporel évoque aussi les difficultés liées à la prise en charge d’un patient qui se situe dans un « entre-deux »(Denise, 2020), ni vivant ni mort (mais endormi), pouvant poser des problèmes « de sens », pour les professionnels. A. 1er enjeu temporel : « C’est proche, mais on ne sait pas… ». Les contextes, les signes et les arrangements dans la perception de l’approche de la mort Toute une organisation sociale met en forme collectivement l’expérience du cancer (Ménoret, 1999). Elle se base sur un ensemble de temporalités. La prise en charge du malade et les activités médicales sont rythmées par des protocoles, des routines, et pratiques thérapeutiques qui se structurent actuellement notamment autour de « projets ». Ainsi, pour un patient en progression de sa pathologie, des évaluations constantes de la maladie et de ses « phases », déterminent le passage de projet en projet. Le patient passera donc de « projets thérapeutiques » à un « projet de soins adjuvants (contrôle de la progression de la pathologie)» plus ou moins associés à des projets de « soins de support » (améliorer le confort du patient potentiellement souffrant) pour aboutir à un « projet palliatif ». Phases de la maladie et « projets » délimitent ainsi des cycles de la vie des patients en cancérologie qui sont construits, dans une large mesure, par le travail médical. Si le passage à « la fin de vie » semble moins problématique dans son évaluation, car lié au passage du « projet curatif » au « projet palliatif », celle du moment précis de la mort l’est davantage. Cette évaluation pronostique de la « phase terminale » est cependant nécessaire car la connaitre doit permettre aux professionnels d’aider le patient à commencer son 9

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