ERENA

CONCLUSIONS (RG) La première impression qui se dégage de ces échanges est l’absence de solution générale, l’absence de directives nationales pour arrêter les décisions à prendre. Vous avez pointé nombre d’enjeux éthiques et pourtant le discernement de ces enjeux n’a pas pour mission de trouver une solution à tous les problèmes. Et pourtant, en dépit de ce silence de l’Etat, en dépit de l’absence de solution générale, les équipes peuvent agir, elles peuvent en mobilisant beaucoup d’énergie, arriver à soigner « en conscience » dans un pays qui laisse aux soignants cette liberté d’action. L’inspiration de ces décisions de soins dans des contextes complexes et incertains, procède de l’éthique. Elle procède d’abord d’affects mobilisateurs que l’on peut appeler de diverses manières et que l’on peut nommer par exemple sollicitude à l’égard de ces personnes émigrées, malades, et pauvres. On entre sans doute par la vie émotionnelle, par l’empathie dans cet exercice de discernement de valeurs qui définit l’éthique avec son questionnement fondamental : « Que faut-il faire pour bien faire » ? Bien faire, sous une apparente simplicité, ouvre cependant à tant d’incertitudes. Bien faire c’est-à-dire viser le Bien et viser aussi comme le soulignait Ricœur, la vie bonne. Et viser le Bien, en dépit de son flou sémantique, c’est viser ce qui va dans le sens de l’humain, d’un accroissement de l’humain, à l’égard d’Autrui mais aussi en retour, à l’égard de soi. Mais on a bien perçu dans ce qui s’est dit que dans cette situation d’indication de greffe à des migrants, le Bien d’Autrui ne vise pas que la personne migrante. Certes, elle est d’abord visée par le souci de soigner qui répond à la sollicitude et répond à un devoir d’humanité. Mais aussitôt des tensions éthiques apparaissent avec d’autres visages connus ou anonymes de l’altérité. Car le migrant, par définition, fait intrusion en brouillant les règles de justice établies dans la répartition des greffons  avec leur rareté, la gestion rigoureuse d’une liste d’attente et la prose de conscience que dans cette situation difficile, le greffon transplanté chez un migrant sera un greffons de moins disponible pour les « ayant-droits » français inscrits « de droit » sur la liste d’attente. Et à cette tension éthique s’ajoute aussi les plus grands risques d’échec liés à la précarité et aux difficultés de suivi thérapeutique qu’elle entraîne… même s’il existe aussi des situations de précarité chez des citoyens français. Et il existe aussi un Autrui plus diffus, la société qui doit supporter le coût de greffes qui devraient être assumés par les pays d’origine –mais la plupart sont des pays pauvres- ou par les migrants –mais ils sont pauvres ou ont été dépouillés de leurs quelques sous par des passeurs. Ces tensions éthiques sont proches de dilemmes. On ne peut qu’acquiescer à la suggestion faite par le CCNE aux professionnels de santé spécialistes de la greffe : faciliter l’intégration sociale des migrants faciliterait leur prise en charge médicale. Soit ! Mais les équipes de soins en appellent aux pouvoirs publics, quêtent des recommandations qui s’appliqueraient sur tout le territoire. Et pourtant…. S’agit-il de souhaiter un biopouvoir encore plus fort ? Michel Foucault avait défini le biopouvoir moderne en l’opposant au pouvoir royal. Car si le pouvoir royal était le droit de «  faire mourir ou de laisser vivre », le biopouvoir est devenu de droit de « faire vivre ou de laisser mourir ». Et c’est ainsi que l’Etat s’estime comptable de la santé de ses citoyens, ce qu’il manifeste en légiférant et en réglementant. La déclaration obligatoire de certaines maladies, les vaccinations obligatoires, les modalités de prise en charge des maladies n’en sont que quelques exemples. Faut-il donc que l’Etat réglemente non pas les indications médicales des greffes chez des migrants mais les conditions sociales de prise en charge et donc de réalisation des transplantations ? Mais dans ce cas que se passerait-il si, en dépit d’une indication médicale de greffe, des conditions réglementaires empêchaient de la pratiquer. L’équipe soignant devrait- elle s’incliner face au pouvoir de l’Etat de décider de faire vivre ou de laisser mourir ? Les tensions éthiques seraient-elles alors amendées ou exacerbées ? Une fois que l’on a dit cela, c’est vrai que dans les situations qui ont été exposées, on voit bien qu’il n’y a pas de problème pour les riches et que les problèmes suscités par les migrants ne sont pas ceux des 58

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