ERENA

Café éthique ou éthique en discussion : 43
Greffes d’organes pour les migrants : droit ou libéralité ? 43
Résumé 43
Abstract 43
Introduction. 44
Thématique du débat. Exposé des cas cliniques 44
AT (intervenant) 44
CS (intervenante) 47
Echanges avec la salle 49
QR : Vous avez parlé des patients qui viennent de Tunisie, qu’en est–il des patients qui viennent des autres pays de l’Union Européenne. Vous avez dit que les greffes viennent seulement des patients français, est-ce que l’on greffe quelqu’un qui vient d’Allemagne ? 49
AT : Tous les pays de l’Union Européenne transplantent dans de bonnes conditions. L’Allemagne, le Benelux, La Belgique ont organisé un réseau propre qui s’appelle Euro transplant qui leur fournit les greffons. L’Espagne est le champion d’Europe de la transplantation tant en prélèvements qu’en activité de greffe. L’Italie aussi est autonome. En Europe, il n’y a donc pas de migrants européens de transplantation parce que chaque pays greffe correctement. 49
CS : Il a pu en avoir à une certaine époque en Italie, il y avait certains patients pour le foie qui venaient se faire transplanter en France à Paul Brousse, mais plus maintenant. Par rapport aux greffons pour la transplantation hépatique il y a un accord entre la France et la Suisse. Lorsqu’un foie ne fonctionne pas de façon aigüe (par exemple une hépatite fulminante, par ingestion d’amanites phalloïdes), le foie ne va plus fonctionner douze à vingt-quatre heures après. Il y a un accord avec la Suisse. Si un patient doit être transplanté en Suisse, on donne un foie « français » Si un foie est disponible en Suisse, et qu’un français a besoin, le foie va venir en France. 49
QR : Pour les personnes qui viennent de L’UE et qui vivent en France et qui n’ont pas la Nationalité française est-ce que la loi s’applique ? 49
AT : Dès l’instant où ils sont bénéficiaires de la Sécurité sociale, ils sont pris en charge. 49
QR : Est-ce que la loi s’applique par rapport au consentement présumé du prélèvement d’organe, c'est-à-dire si une personne de nationalité allemande décède sur le sol français ? 49
AT : Tous les étrangers qui passent en France peuvent donner leurs organes, c’est l’Agence de Biomédecine qui se met en contact avec le pays d’origine du défunt et qui s’assure qu’il n’était pas opposé. Tous les pays n’ont pas de registre de refus, mais c’est l’agence de biomédecine qui s’en occupe. Pour les étrangers vivant depuis plus de 6 mois en France, c’est la loi française qui s’impose. 49
QR : Je voulais parler des migrants qui ne sont pas en situation régulière, je ne connais pas grand-chose est-ce que vous connaissez la règlementation ? 49
AT : Je sais que dès que l’on décède sur le territoire national, on peut donner ses organes, on prévient le Procureur de la République. Je n’ai pas été confronté à un greffon dans ce contexte. 49
RA (Président d’une Association de la maladie de Wilson) : J’ai été confronté parfois à des situations de très grande complexité en particulier lorsque nous avions des patients du Maghreb qui venaient dans des situations gravissimes très souvent en situation irrégulière mais qui avaient en France un appui familial. 50
CS : Ce qui est différent c’est que dans le cas où la personne qui a besoin de la greffe de foie, a un entourage social, familial qui va être aidant, on sait que dans ce cas-là il va prendre son traitement immunosuppresseur. 50
RA (Association de la maladie de Wilson) : Ce qui est compliqué dans le Maghreb c’est la mise à disposition des médicaments. 50
CS : Oui c’est compliqué, mais nous avons au Maroc des patients transplantés hépatiques qui ont un peu d’argent qui leur permet de se soigner. L’avantage de la transplantation hépatique /transplantation du rein, même si les médicaments sont chers, on en utilise moins car le foie est un organe qui est mieux toléré, ce qui bien sûr ne dispense pas des prises médicamenteuses et du suivi médical. 50
RR : Je suis interrogé par la façon dont tu as présenté la réponse du CCNE. Je me demande si j’étais au CCNE qu’est-ce que je répondrai à ta question ? Comme tu l’as bien présentée à chaque solution potentielle, cela soulève un problème éthique en miroir majeur et je te renvoie la question, qu’est-ce que tu aurais voulu qu’ils te disent. 50
AT : Je fais un peu de provocation mais je trouvais que la réponse n’était pas à la hauteur des enjeux. 51
QR : Vous avez un choix à faire d’un point de vue médical, vous avez peut-être des schémas, des stratégies qui amènent à certaines conclusions, on se rend compte que vous êtes confrontés à des questions politiques, économiques, éthiques et se rajoute là-dessus la notion de migrants. On peut, avec les chiffres que vous nous donnez, se demander : « est-ce qu’il ne va pas prendre la place de quelqu’un », mais d’un point de vue éthique, c’est un être humain au même titre que nous tous, j’imagine bien la difficulté. Le principe de subsidiarité pourrait être un point de départ, mais ça ne concerne pas que les médecins mais chacun d’entre nous ici. 51
AT : Ce que ces deux cas illustrent, c’est une forme de solitude du médecin face à l’ensemble de ces enjeux, nous notre travail est de prendre en charge des patients, leur souffrance mais ce n’est pas forcément de tout intégrer : contexte économique, contexte de pénurie d’organes …. L’intérêt de ce soir c’est de montrer que nous les soignants nous sommes seuls. 51
CS : Nous avons les mêmes histoires en hépatologie : ce sont souvent des patients ukrainiens et géorgiens. Je pense ainsi à un patient qui est resté toujours seul en France, et dont la femme est restée en Ukraine : c’est une situation compliqué pour la compliance au traitement immunosuppresseurs. Et je pense aussi à cet autre ukrainien, célibataire mais qui a rencontré une jeune femme : ils ont aujourd’hui un enfant de deux ans qui va très bien. Cet ukrainien a maintenant une famille et il est parfaitement intégré. 51
AT : En parlant de complexité, nous avons parlé de l’Europe. Evoquons le « couple franco-allemand ». Les allemands ont une démarche plus stricte concernant l’insuffisance rénale : lorsqu’un migrant arrive en Allemagne pour une insuffisante chronique terminale rénale, il est pris en charge en dialyse dans le contexte d’urgence sauf que ça ne dure que 15 jours et au bout de ces 15 jours ces patients sont reconduits à la frontière. Nos collègues de Strasbourg nous racontent régulièrement que leur centre de dialyse est saturé de patients ressortissants des pays de l’Est, déposés à la frontière française par nos collègues allemands et pourtant ce sont nos collègues les plus proches. 52
QR : Le very bad trip existe aussi à la française, on peut très bien greffer en France une personne qui à un moment donné va dériver et le greffon sera abîmé. Est-ce que le cas de conscience est identique ou différent parce que c’était un migrant ? 52
AT : Dans les deux cas c’est un échec, dans les deux cas c’est un greffon prélevé sur un donneur et qui échoue, en terme d’humanisme c’est la même chose. 52
CS : Pour nous c’est la même chose. Chez cette patiente ce n’est pas le fait qu’elle soit géorgienne et qu’elle ne parle pas français, c’est vraiment parce qu’elle est isolée, elle était très précaire, on n’arrive pas à lui trouver un toit c’était vraiment ça le problème. 52
AT : Pour en revenir au questionnement sur l’échec, on peut dire que l’échec est plus difficile à vivre chez un patient migrant qui a demandé beaucoup plus d’investissement et l’activation autour de lui de toute une chaine de mobilisation sur le plan social, sur le plan de l’interprétariat. Intervention 52
QR : Nous évoquons ici le problème des greffes mais il y a aussi le problème des traitements médicaux simples, par exemple contre la tuberculose ou contre l’hépatite : nous avons de la peine à leur faire suivre ces traitements au long court, soit qu’il s’agisse d’un problème de communication soit qu’il s’agisse des modalités de prise en charge. Ils sont itinérants et vont de familles hébergeantes en familles hébergeantes, ce qui n’aide pas à la transmission des informations. 53
AT : Nous sommes d’accord bien sûr mais il y a une complexité éthique supplémentaire avec la transplantation, c’est qu’il y a un greffon, ce qui veut dire qu’il y a au départ un prélèvement. 53
QR : J’ai bien compris mais ce que je veux dire c’est que cette problématique de la langue française, de la communication, de la stabilité sociale, de l’hébergement, elle est commune. Si on y répond d’une manière commune vous en bénéficierez sur le plan des migrants. 53
QR : Est-ce que l’Agence de Biomédecine donne des pistes de réflexion ? 53
AT : C’est le grand silence. Les autorités de santé sont embarrassées. Chaque centre a sa propre politique. Il n’y a pas de bonnes pratiques, de recommandations ; mais, au fond, n’est-ce pas mieux que chacun agisse en conscience dans son équipe ? 53
QR : Y-a-t-il des positions qui pourraient être différentes d’un centre à un autre ? 53
AT : Oui c‘est une réalité. Il y a des organisations mafieuses qui déposent des migrants malades dans l’Ouest de la France. 54
QR : Le partage des responsabilités, c’est peut-être bien qu’on vous laisse ce choix parce qu’on peut penser que c’est fait sur des raisons médicales et parfois sociales mais en même temps, on vous oblige à médicaliser des situations sociales quand on voit des hospitalisations de 7 mois qui pourraient, en traitant l’aspect social et l’aspect politique des prises en charge et d’intégration, être allégées (je ne dis pas résoudre totalement) et vous aider dans les décisions médicales derrière. 54
RR : C’est un peu dans le même sens, ta réponse finale, c’est face à un problème éthique complexe, la seule solution c’est d’être capable et autorisé à réagir en notre âme et conscience de médecin. Pour l’instant, finalement la recommandation du CCNE c’est un peu ça qu’est-ce que tu veux qu’ils disent d’autre ? 54
CS : Tu veux dire que les foies espagnols viennent en France, car il y a beaucoup de foies en Espagne et on pourrait en profiter ? 54
CS : Pour l’instant, il me semble qu’il n’y a pas une vision très européenne. 54
RR : Pour l’instant nous sommes dans l’impasse. 54
QR : Un cas n’a pas été évoqué, c’est celui du migrant qui viendrait avec son donneur vivant. 54
AT : Pour un migrant avec son donneur vivant, on vérifie effectivement que le suivi sera possible dans le pays d’où est originaire ce couple donneur-receveur. 54
CS : Quand je dis qu’une greffe de foie c’est 120 000 euros, vous venez avec cette somme et nous le faisons. Il y a peu de greffes donneur vivant/greffe hépatique (quelques-unes à Paul Brousse) 55
QR : Est-ce que les associations de patients greffés du foie ou du rein ont été consultées sur ces problématiques-là, est-ce qu’ils sont intéressés, est-ce qu’elles ont un avis éclairés. 55
AT : Je n’ai pas de retour. Les associations sont informées de cette situation, mais ils n’y a pas eu de prise de position officielle. 55
RA (ADOT : association pour le don d’organes et de tissus) : Il n’y a eu aucune prise de position de l’ADOT. 55
AT : Vous avez raison, nous aurons besoin des associations pour adhérer. Il n’est pas question de greffer sous le manteau ces populations-là. Il faut que la communauté nationale soit d’accord avec ce projet et encore une fois ce n’est pas une activité confidentielle que l’on fait en catimini. 55
QR : Dans les pays de l’Europe de l’Est, connaissez-vous l’organisation de greffes ? 55
CS : Je ne suis pas trop au courant mais ce sont surtout des problèmes d’argent. 55
AT : La greffe rénale avec donneur vivant se fait dans beaucoup d’endroits y compris dans les pays de l’Est sans trop de soucis. Les difficultés majeurs surgissent quand on n’a pas dans son cercle familial un donneur potentiel. Mais quand il faut recourir à un donneur décédé il faut un système de santé capable de prendre en charge ces patients morts encéphaliques, capable de les réanimer et il s’agit d’une réanimation complexe, lourde qui nécessite un système de santé convenablement doté en ressources humaines et financières. Il est ainsi plus facile de greffer dans beaucoup de pays avec des donneurs vivants qu’avec des donneurs décédés. 55
CS : Ce qui vient d’être dit s’applique aussi au foie. Il y a plus de donneurs vivants dans certains pays alors que l’accès au greffon cadavérique est beaucoup plus difficile. 55
QR : Vous disiez qu’en Géorgie, les patients les mieux lotis avec un meilleur niveau socio-économique pourraient eux avoir plus facilement accès à la greffe dans leur pays. 55
CS : Avec les patients précaires, une fois que l’on est logé, on arrive quand même à avoir une prise en charge adaptée, cependant nous sommes plus prudents par rapport aux patients qui n’ont pas d’entourage familial et en particulier à la cirrhose liée à l’alcool. Dans ce cas c’est seulement un problème de précarité. 56
QR : Quand vous vous réunissez pour une greffe, à quel moment intervient le côté migrant ? 56
AT : Pour que le patient soit mis sur la liste d’attente il faut qu’il soit depuis 3 mois sur le territoire et qu’il ait l’AME. C’est un problème qui se pose d’un point de vue administratif très vite. 56
CS : Nous avons des patients qui ne savent ni lire ni écrire et qui sont d’ici. Ils ont une aide et c’est la personne aidante qui remplit le pilulier. On appelle l’infirmière ou l’aide-soignante. 56
QR : Je vais être provocateur ? 56
CS : Elle sera greffée en Géorgie mais après elle ne pourra pas acheter son traitement. 56
QR : Elle serait dans son milieu. 56
CS : Je suis d’accord mais le problème en Géorgie, c’est qu’il faut avoir de l’argent pour pouvoir se soigner. Elle était coiffeuse, elle a tout vendu et elle n’a plus rien si elle retourne dans son pays. Elle a sa fille qui vit sa vie et elle n’a plus rien. 56
QR (médecin) : La problématique en transplantation hépatique c’est qu’elle est vitale et donc, si on ne transplante pas, on meurt, alors que si l’on a une insuffisance rénale, on peut avoir une dialyse. 56
CS : Nous avons des jeunes, nous leur faisons leur pilulier 1 fois/semaine pour qu’ils suivent leur traitement, ce n’est pas vraiment un problème. 57
QR : Retrouver l’autonomie, c’est les mettre au travail, avoir une vie familiale. 57
CS : Le patient dont je parle qui ne sait pas lire, il est à la campagne, il fait son jardin, il nourrit des gens, il est très bien. Nous lui faisons son pilulier. 57
QR (médecin) : Nous avons plus d’échec de greffes avec des patients qui ont des difficultés de compréhension pour lesquels nous avons de grosses erreurs de prise de traitement, de suivi médical. 57
AT : C’est d’autant plus rageant qu’on se dit qu’il ne manquerait pas grand-chose. La petite prise en charge, l’apprentissage du français dans les relais quand ils sortent, au lieu de ne rien faire de leur journée, s’il y avait plus de travailleurs sociaux capables de leurs apprendre la langue. 57
QR : Je pense que ce qui est important c’est de réfléchir quelle est notre finalité, est-ce que c’est l’augmentation de l’espérance de vie ou l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé ? 57
CS : Je suis d’accord mais cette observation ne concerne pas que les migrants. 57
CONCLUSIONS (RG) 58
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